Le 15 avril 2010, « François Solesmes », tandis que tous les quinze jours il se lançait dans des diatribes contre la famille de Mireille, annonçait dans son blog – dont chacun a été à même de juger alors du contenu et du style – son intention de publier à la Chateaubriand une œuvre posthume : son édition des Lettres (laquelle « attend que quelques lustres aient mis les ayant droits (sic) patrimoniaux hors d’état de nuire »). L’avertissement attaché aux extraits de textes publiés sur ce site dans la partie « Son œuvre » n’a pu que s’en trouver ravivé. Seuls des spécialistes extérieurs à qui la totalité – l’entière totalité – des écrits de Mireille seraient remis pourraient établir une édition critique des Lettres, de L’Amant et des manuscrits détenus qui n’ont encore connu aucune publication.
Un doute fort et permanent accompagnerait cette édition d’outre-tombe qui passerait outre, pour le moins, aux vérifications faites par ses ayants droit et établie par le seul récipiendaire des lettres, lequel a d’ailleurs sur ce même blog reconnu avoir effectué des coupes – elles se comptent par milliers de lignes – pour les raisons qu’il a bien voulu donner. Nous sommes devant une histoire plus abominable que celle de Camille Claudel parce qu’il n’y a pas en elle de Rodin. Il n’y a que la construction de Mireille sur un néant.
Le plus important sera de montrer que les lettres de Mireille sont celles d’un écrivain qui avait choisi le genre épistolaire, la forme de l’adresse comme moyen d’expression – son dire –, depuis L’Amant, les Lettres à un Vieil Ami (inédit), jusqu’à son Dernier Manuscrit (inédit). Que ses lettres sont, à la vérité, en principale partie, une auto-correspondance. Que leur destinataire n’est que la fiction, hypertrophiée puis désastreuse, de l’exigence d’écriture qu’elle s’imposait. Une exigence impérieuse (« J’écris seulement par nécessité, pour me délivrer d’un trop lourd fardeau »), semblable au besoin d’aimer (à ses parents : « ne sentez-vous pas […] qu’il y a dans cet amour une terrible nécessité interne dont je ne puis dévier ? »). Mireille ne parlait qu’à elle-même, à son intelligence intransigeante, à la certitude qu’elle avait de la qualité de sa pensée – comme une Julie de Lespinasse. Par transfert de vénération filiale, elle s’enferma mortellement dans une relation avec un homme du double de son âge, fonctionnaire dans l’Éducation nationale comme l’était son père et – ce qu’elle apprit un jour si douloureusement – marié et père lui aussi. La place prise par la figure paternelle dans cette relation, dans cette translation de sentiment (et d’attirance), est évidente quand elle nomme le nouveau venu « mon père adopté » (1964) ou tout simplement, en une période de fatigue, « papa » (1966). Un homme mal élu dont elle avait fait une stèle amoureuse, une construction intérieure à laquelle, sinon aux derniers jours de sa vie, elle n’a pas voulu renoncer car cela eût été reconnaître à quel point elle s’était trompée. Il est étrange, ou si éclairant, que M. Solesmes, alors qu’il se prévaut bien légèrement et lourdement à la fois de toutes les compétences culturelles, ait si longtemps voulu attacher à son image des lettres qu’il pensait et pense encore lui avoir été adressées sans autre intime nécessité. Qu’il n’ait jamais compris ce qui se passait et ramené tout à son plaisir et à sa vanité. En vraie écriture, le cachet de la poste ne fait pas foi.
Ce site n’a pas été créé pour parler de M. Solesmes. Mais il a, d’une manière inattendue, provoqué un torrent d’écriture sur son propre blog fermé aux commentaires. Le passant comprend aussitôt que la suffisance de celui qui le tient à l’abri de l’objection n’a d’égale que sa médisance. Le moment viendra de réduire au néant des propos d’ailleurs aussi peu assurés de postérité. Nous avons hésité à briser le mythe d’un amant et d’une amante. Cependant, des étudiants, à l’occasion de lectures approfondies, commencent à apercevoir ses fractures et l’incommensurable écart de don littéraire qui les sépare. Mireille entrera seule (ce qu’elle avait été dès ses débuts en écriture : « moi, une flamme pour personne ») dans le futur. Car le mythe, malgré les soins intensifs que lui prodigue M.Solesmes, si occupé depuis qu’il a rencontré Mireille à caresser un rêve de postérité, pourrait un jour se briser sur ces mots (1967) : « Depuis des années, je m’exténue à faire ce que je crois que l’on attend de moi, je me compose un masque sans défaut » ;« Je veux donner la parole au moi le plus libre longtemps brimé. » ; « Je ne réserve encore que le récit de mes pensées ; quand je devrai dérober celui de mes actes, un nouveau pas sera franchi. », que l’on retrouve en écho dans ceux de l’éditeur Robert Morel : « A la fin, et avec horreur, elle lui mentait. »
Qui comprendrait mal cette opposition (si contraire à l’image reçue) autour des écrits et de la vie de Mireille selon M. Solesmes doit en juger par deux ou trois exemples. Ce 15 avril 2010, le blogueur choisit de s’en prendre à la publication par le site des premiers poèmes de Mireille : « un déballage de fonds de tiroirs ou de vide-grenier », des « Juvenilia »tout juste bons à être relégués, par le droit qu’il s’arroge, « à la place qui leur revient ».Le 15 septembre 1962 Mireille dit sa joie dans une lettre : « Je saute à bas de mon lit pour annoncer à ma mère interloquée que j’ai écrit des poèmes et que vous les aimez… Que cela paraisse ?!!!!!... Mais il n’y a là qu’une vingtaine de pages… Et voilà que vous m’assénez le poids de votre admiration… que vous me consacrez poète ». Alors, il fallait séduire. Aujourd’hui il est nécessaire d’étouffer ces poèmes consacrés à l’amour pour un autre.
Une pareille démarche avait été engagée, cette fois sous le prétexte de la prétendue folie de Mireille, à propos du Dernier manuscrit. Dans un courrier à la sœur de Mireille, l’éditeur Robert Morel stigmatise « l’acharnement avec lequel [Solesmes] a dénigré auprès de moi et auprès de votre mère la valeur du dernier manuscrit […] Le même acharnement mis à trouver des empêchements à l’envoi du manuscrit qui m’était destiné, passant outre aux dernières volontés de Mireille ». Manuscrit qu’au lendemain de la mort de Mireille il demanda à sa mère endeuillée de le lui prêter et dont il retient, depuis, la partie la plus achevée, sans droit aucun. Un manuscrit qui ne parle pas de lui mais là encore de l’amour pour un autre. Quelques phrases retrouvées : « J’ai décidé de vivre désormais selon mon grand désir. Désir trop longtemps brimé ». « Qui défend que j’en fasse le récit, que je révèle ce qui, sous des formes diverses, m’a fait violence ? Je ne tiendrai compte d’aucune défense et je dirai ce que je veux dire. Mais je sais ce qu’il m’en coûtera ». Dans le blog de M. Solesmes, ce manuscrit n’existe pas. Existe-t-il encore ? Son auteur veut se couronner à jamais l’Amant de Mireille Sorgue et son semblable. Il lui arrive d’entremêler dans un même texte, jusqu’à la nausée, de ses phrases si lourdes, si cuistres, si vulgaires à celles si vives, si créatrices, si éternelles de la jeune fille surdouée. A qui ne comprend pas cette opposition d’un blog et d’un site qui devraient tous deux célébrer un écrivain, que l’on dise : l’histoire de Mireille Sorgue et du récipiendaire de ses lettres n’est pas celle d’Héloïse et d’Abélard. L’un des deux doit s’effacer. Lequel ?
Les Amis de Mireille Sorgue conseillent vivement à M. Solesmes de prendre contact avec l’institution de son choix (la Bibliothèque Jacques Doucet, l’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine, ou autre) et, plutôt que de faire savoir qu’il maintient « sous scellés » manuscrits et dactylogrammes, d’avoir l’intelligence et l’honnêteté d’y déposer ce qu’il détient (légitimement ou pour se l’être approprié) de l’œuvre d’un écrivain qui appartient – depuis que Mireille Pacchioni est devenue Mireille Sorgue – à l’histoire de la littérature bien davantage qu’à qui que ce soit. L’édition et la conservation de ses écrits n’ont plus à être laissées, quarante-quatre ans après son suicide, dont les causes devront être un jour établies, à la seule initiative de ses proches.
Mireille Sorgue
Ecrivain et poète 1944-1967
Mireille est morte le 17 août 1967. Dans le train de nuit qui, deux jours plus tôt, la ramenait de Paris à Toulouse, elle a longuement pleuré devant l’histoire de sa courte vie. Elle avait tant donné, tant aimé, tant espéré, tant souffert ! Elle avait cru construire sa vie en donnant tout ce qu’elle avait, pour vivre l’amour qu’elle espérait. Elle revoyait ces longues nuits de pleurs, de désespoir, de néant. Tout ce qu’elle avait secrètement espéré n’existait plus. Elle avait tout perdu. Alors, avant que le jour ne se lève, dans la chaleur encore épaisse de cette nuit d’été, quelque part sur cette voie ferrée, qui mène de Caussade à Montauban, elle a ouvert la porte du wagon. Elle a sauté ! Elle avait 23 ans.
les derniers jours. le dernier manuscrit
Mireille Sorgue par Gisèle Armanashi-Guyot
« Jeux de mains, jeux d’écrivain : L’Amant ou la célébration du style ? » par Lorraine Richard (extraits)
“C’est être heureuse, non glorieuse, que je préfère ;
c’est me sentir vivante, seulement cela, vivante."
(2 juillet 1966)